« “Les Juifs de Belleville” : cartographie du quotidien de Juifs immigrés pendant l’entre-deux-guerres »
Recension des Juifs de Belleville de Benjamin Schlevin par Lucie Spindler dans Tenoua.
Tenoua a lu Les Juifs de Belleville, Die yiden fin Belleville en yiddish, roman de Benjamin Schlevin paru dans son intégralité pour la première fois en 1948, et dont une nouvelle traduction a été publiée par les éditions L’échappée dans la collection “Paris perdu”.
C’est un livre qui a traversé les temps. En le lisant un soir d’été 2025 dans un Paris étouffant et caniculaire, je réalise qu’il n’aurait jamais dû se retrouver entre mes mains, moi qui connaîs Belleville plus pour ses cafés branchés que pour son histoire juive. De nombreux obstacles se sont dressés devant la transmission de cette fresque littéraire qui narre le quotidien des petits patrons et travailleurs juifs immigrés des années 1920. Et pourtant, il est bien là avec ses 477 pages, cartographie riche et animée de l’entre-deux-guerres à Paris, une époque qui vit au rythme du travail acharné et de l’engagement communiste. L’histoire de son auteur est à l’image de celle de ses personnages, faite d’exils et d’obstacles, à la recherche d’un ancrage dans la “ville lumière”.
Benjamin Schlevin est né à Brest‐Litovsk en 1913 (en Pologne jusqu’en 1945, puis en Biélorussie), a passé plusieurs années à Varsovie, avant de rejoindre la capitale française en 1934 pour devenir ouvrier‐imprimeur dans la presse communiste yiddish. Son désir d’écriture se fixe alors sur un projet : narrer le theâtre social, politique et culturel du monde juif qu’il rencontre à Paris, le quotidien de ces travailleurs et travailleuses qui ont fui l’Europe de l’Est et la montée de l’antisémitisme, sur fond de révolution bolchévique et d’instabilité politique. Le parcours de ces hommes et femmes est jalonné d’épreuves et de rencontres, à l’image de Beni Grinberger, l’un des personnages du livre, parti de Varsovie pour rejoindre Berlin, puis Paris.
Après des années d’écriture et une première publication d’une partie de son texte dans la presse, la guerre interrompt le travail de Benjamin Schlevin : engagé dans un régiment de volontaires étrangers de l’armée française, il est fait prisonnier en 1940, puis enfermé dans un stalag (camp de prisonniers en Allemagne). Toujours vivant à la fin du conflit, il achève son projet littéraire en ajoutant un autre versant, beaucoup plus tragique : la période de l’Occupation.
Une question se pose en ouvrant le roman. Pourquoi Belleville est‐il devenu le quartier de nombreux Juifs pendant l’entre-deux-guerres ? Benjamin Schlevin décrit l’installation des nouveaux venus dans le Pletzl (qui signifie “petite place” en yiddish, le quartier du Marais), avant de monter sur les hauteurs de Belleville, pour des raisons de place : “Mais tous ces Juifs qui, en ces premières années, sont descendus à la ‘Gare Di Nor’ enfumée et ont respiré l’air de Paris, se sont vite retrouvés à l’étroit dans ces ruelles de Montmartre et du Pletzl.”
Fresque sociale, la vie du quartier est décrite avec finesse : “Le dimanche matin, le large boulevard de Belleville, ensoleillé, est le point de rencontre de tous les compatriotes originaires de telle ou telle localité. Sur le trottoir, c’est un perpétuel va-et-vient. On descend de sa porte comme au shtetl le matin de shabbat, les revers relevés, la chemise attachée par une épingle, mal fagoté, pas encore rasé.” (...).
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