05/07/25

« L’anarchisme est-il né d’un artisanat ouvrier en lutte ? »

Recension de Naissance de l'anarchisme de Pierre Ansart par Philippe Martinez dans Mare Nostrum.

Avec Naissance de l’anarchisme, Pierre Ansart entreprend de relire l’histoire des idées comme un processus d’insertion sociale, reliant gestes intellectuels et milieux d’émergence. En croisant trajectoire théorique et pratiques collectives, ce livre nous donne à voir comment se constitue une idéologie agissante. Le récit devient alors enquête : que voulait dire penser pour agir au XIXe siècle ?

Les dessous d’une idéologie insurgée

Il est des œuvres dont la puissance réside dans leur capacité à refuser le confort des synthèses établies. Celle de Pierre-Joseph Proudhon est de cette trempe, champ de bataille interprétatif où s’affrontent, depuis plus d’un siècle, des lectures irréconciliables. Plutôt que de s’enrôler dans ces querelles d’exégètes où chaque camp brandit un Proudhon taillé sur mesure – ici, le petit-bourgeois chancelant croqué par Marx ; là, le titan révolutionnaire adoubé par Bakounine ; ailleurs, le traditionaliste providentiel récupéré par les cercles de l’Action française –, Pierre Ansart, avec Naissance de l’anarchisme, déplace la focale. Son projet, d’une audace méthodologique remarquable, consiste en une excavation sociologique : il ne s’agit plus de savoir ce que Proudhon a dit, mais d’où il parlait, et quel écho sa parole trouvait dans les pratiques concrètes des classes laborieuses de son temps. L’auteur quitte la bibliothèque pour descendre dans l’atelier. Il postule que la genèse d’une pensée aussi radicale ne peut se comprendre par le seul jeu des influences intellectuelles, mais doit s’ancrer dans une expérience collective, dans un éthos particulier qui lui donne sa substance et sa direction. Ce geste inaugural fait de son livre une aventure intellectuelle où le lecteur assiste, en direct, à la transformation d’une conscience de classe en système philosophique.

Dans l’interstice, l’anarchie

Le cœur de la démonstration de Pierre Ansart repose sur la recherche minutieuse des « homologies structurales » entre la pensée proudhonienne et le monde social de la monarchie de Juillet. Ce n’est pas un simple reflet mécanique qu’il nous décrit, mais un jeu complexe de correspondances et de tensions. La France des années 1840 est un territoire économique éclaté : une grande industrie naissante, brutale et concentrée, coexiste avec un monde paysan encore dominant et, surtout, avec un artisanat manufacturier urbain, foisonnant et résilient. Cette hétérogénéité, ce combat permanent entre des logiques de production antagonistes, se retrouvent dans les contradictions mêmes de l’œuvre de Proudhon, qui oscille entre la critique implacable du monopole capitaliste et la défense acharnée d’une économie de petits producteurs autonomes. C’est dans cet interstice, dans cette zone grise où l’artisan n’est plus tout à fait maître mais pas encore simple prolétaire, que naît l’anarchisme (...).

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Pierre Ansart