« Crise du sens au travail : "Faut-il réhabiliter le ministère du temps libre ?" »
Tribune de Bertrand Cochard, auteur de Vide à la demande, parue dans La Croix.
Alors que le temps libre fait l’objet d’une marchandisation des industries du loisir et des entreprises de la tech, le philosophe Bertrand Cochard invite à repenser notre rapport à ce temps « libéré » du travail. Celui-ci devrait, selon lui, encourager l’activité et l’éducation, plutôt que la passivité et le divertissement.
Les moins de 20 ans ne peuvent pas le connaître ; les plus de 60 s’en souviennent comme de cette extravagance qui a accompagné l’arrivée au pouvoir des socialistes en 1981 : jusqu’en 1983, la France comptait alors un ministère du temps libre. Sa mission, confiée à l’ancien secrétaire général de la Fédération de l’éducation nationale André Henry, était de « conduire par l’éducation populaire une action de promotion du loisir vrai et créateur et de maîtrise de son temps ».
Il en va du temps libre comme de ce que Saint-Just disait du bonheur en 1794 : il s’agit d’une « idée neuve en Europe ». Avant les mesures prises par le Front populaire en 1936, le temps libre était surtout une marque de distinction pour la classe des rentiers. Il ne pouvait apparaître au travailleur que comme un insupportable privilège bourgeois. Il a fallu attendre 1936, avec la semaine de quarante heures et la quinzaine de jours de congés payés, pour que le « temps libre » se démocratise, que cette idée neuve fasse son chemin.
Or, lorsque François Mitterrand s’installe au pouvoir en 1981, promettant la retraite à 60 ans, le passage d’une durée hebdomadaire du travail de quarante à trente-cinq heures et la cinquième semaine de congés payés, « trois mesures génératrices de temps libéré », il est de fait confronté à l’exigence d’apporter une réponse politique à un problème central : comment faire en sorte que ce « temps libéré » ne soit pas immédiatement capté et façonné par les industries du loisir, celles que Guy Debord qualifiait de « secteur le plus avancé » du « capitalisme concentré », spécialisées dans « la vente de blocs de temps “tout équipés” » ? (...).
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