02/12/22

« Fabriquer du muscle dans un monde incertain »

Entretien avec Guillaume Vallet, auteur de La Fabrique du muscle, par Irénée Régnauld sur Mais où va le web ?.

Autrefois réservée à une petite élite de bodybuilders, la musculation est sans conteste devenue une activité de masse. Des salles de fitness aux compléments alimentaires, en passant par les influenceurs sur les réseaux sociaux et objets connectés en tous genres : une économie a surgi pour répondre à une demande qui explose. Mais qu’est-ce qui nous motive à passer du temps « à la salle » pour se muscler ? Une question à laquelle s’attaque Guillaume Vallet, Maître de conférences en sciences économiques (Université Grenoble Alpes) dans son stimulant ouvrage La fabrique du muscle (Editions L’Echappée, 2022). Le chercheur réinscrit cet essor des pratiques de musculation dans ce qu’il définit comme un « capitalisme des vulnérabilités », au sein duquel le corps devient un moyen de lutter contre les incertitudes du quotidien et de s’affirmer en tant qu’individu, parfois jusqu’à l’excès. Lui-même adepte des salles de sport, le chercheur explore sans jugement la vie des individus qui se musclent. Entretien.

Quand commence cette fascination soudaine pour la musculation et comment l’expliquez-vous ?

Une explication peut être que depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les individus sont beaucoup renvoyés à eux-mêmes. Les idéaux collectifs, les grands partis et même la religion ont perdu de leur influence, non pas au point de ne plus exister, mais ils ont laissé place à des choix plus personnels, dans un système où l’individu est poussé à se construire lui-même. Sur le plan économique, le désengagement de l’Etat et l’idée de marché ont pris de l’importance, renforçant une logique auto-entrepreneuriale qui est aussi une logique de projet, et de réussite individuelle. Enfin, un dernier facteur tient dans le fait que nos sociétés donnent beaucoup d’importance à la santé – ou à l’apparence de la santé – et au « capital humain » qu’elle représente. Au croisement de ces trois facteurs, il y a le corps, une ressource directement accessible et qui semble appropriable, transformable, dans le but d’apparaître en bonne santé et de donner un sens à sa vie.

Bien sûr, tout ne commence pas là. On peut trouver des racines à la musculation dans les périodes antiques, et de manière fluctuante au cours de l’histoire. Mais les grands moments d’accélération sont l’après-guerre et les années 1980, avec l’ouverture d’une phase de capitalisme des vulnérabilités qui renforce cette idée de se tourner vers son corps comme voie de salut (...).

Pour lire la suite : www.maisouvaleweb.fr/fabriquer-du-muscle-dans-un-monde-incertain

Guillaume Vallet