08/06/24

« "Vers un monde univoque": il faut sauver l’ambiguïté »

Recension de Vers un monde univoque de Thomas Bauer par Ismaël Houdassine.

Les espèces animales, insectes, oiseaux, plantes et mammifères, disparaissent de la surface de la Terre, la pluralité des langues est en forte voie d’extinction, l’être humain évolue dans un monde de moins en moins varié. De toute part, la pluralité s’assèche et l’homogénéisation s’impose dans les esprits. C’est la thèse soutenue avec brio par Thomas Bauer dans son essai captivant qui sonne comme un avertissement sur l’affadissement de notre époque marquée par « moins de significations, d’ambiguïté et de diversité dans tous les champs de l’existence ».

Le professeur d’études arabes et islamiques à l’Université de Münster propose un essai aux antipodes de sa spécialisation. L’érudit note que notre capacité à admettre les avis divergents, à tolérer les contradictions et à accepter la différence diminue. Il constate que l’intolérance au doute ou à l’ambiguïté favorise le repli sur soi et le fondamentalisme identitaire. Or, sans diversité culturelle, il ne peut y avoir de tolérance. À ce titre, l’ambiguïté est primordiale, car elle est à la source de notre culture, de son ouverture, plaide-t-il.

Dans sa réflexion sur le « devenir-univoque » (« Vereindeutigung ») de notre monde, l’islamologue relève d’ailleurs plusieurs procédés qui tendent à la simplification des opinions, notamment l’obsession de la vérité, la négation de l’histoire et l’aspiration à la pureté, autant d’éléments aujourd’hui en croissance qui mènent selon lui vers le rejet inexorable des autres. Publié en 2018 et enfin disponible en français, ce petit livre léger par le nombre de pages, mais d’une grande pertinence, arrive donc à point nommé devant la montée des extrémistes aux quatre coins du globe. Leurs visions étroites ne font plus de place à la nuance, observe-t-il.

Invoquant tour à tour les réflexions de Paul Valéry et de Stefan Zweig, le court essai intelligent qui se penche sur la politique, les arts et la religion met en lumière les contradictions sociologiques de notre temps, qui tout en célébrant la différence et le cosmopolitisme, révèlent au contraire une standardisation des modes de vie et un appauvrissement de la pensée. Pour Thomas Bauer, Prix Leibniz 2013, « l’univers des sens se rétrécit » dans toutes les sphères de la société. On a beau encenser son prochain, les différentes cultures ou les convictions contraires, tout n’est qu’un leurre, souligne l’essayiste, puisque le monde s’uniformise à marche accélérée.

Alors que l’offre marchande se développe dans une société capitaliste, une culture de masse s’impose. Tout se ressemble, nos modes de vie ou les immeubles construits à l’identique, les mêmes tours à Dubaï, à Paris ou à Montréal. « La variété disparaît au sein de l’espèce humaine ; les mêmes manières d’agir de penser et de sentir se retrouvent dans tous les coins du monde », annonçait déjà Alexis de Tocqueville au XIXe siècle (...).

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Thomas Bauer