12/05/23

« Un 1er mai à Buismont après la Grande Guerre : La Zone verte de Eugène Dabit »

Recension de La Zone verte d'Eugène Dabit par Alice Desquilbet sur Diacritik.

Avec La Zone verte d’Eugène Dabit, publié le 7 avril 2023 dans la toute nouvelle collection « Paris Perdu », les éditions L’Échappée nous emmènent dans la campagne parisienne de l’entre-deux-guerres sur les pas de Leguen, parti de Paris « sur la route de Mantes » avec deux paniers sous le bras pour ramasser du muguet dans les sous-bois.

Pourtant, la bouche du métropolitain au carrefour des boulevards Barbès et Rochechouart sur laquelle s’ouvre le roman rompt avec l’atmosphère bucolique annoncée par le titre. Et c’est bien là tout l’intérêt : il s’agit de donner au lecteur ou à la lectrice l’envie de fuir comme Leguen la turbulence bruyante et sale de la zone grise pour une échappée – puisque « le printemps vous poussait à quitter Paris, même un seul jour ! » (p. 19). L’exclamation de Leguen au discours indirect libre inclut le lecteur ou la lectrice, l’engageant à le suivre pour retrouver la «  »barrière », accueillante, silencieuse, campagnarde » qui était jadis, avant la guerre, à la porte de Clignancourt et qui depuis a reculé devant l’avancée de la ville. Déjà, à la fin des années 1920, l’agrandissement de Paris modifie les paysages : il faut donc s’éloigner encore des « baraques pouilleuses du marché aux puces » et des « constructions neuves du  »plus grand Paris » qui avaient fait craquer sa ceinture » (p. 20). Quittant le bruit des autos, des camions, des tramways, la tristesse des voyageurs pressés et la misère des ouvriers captifs des usines, le récit s’aère à mesure que Leguen s’avance à pied en suivant la Seine, rêve devant les collines d’Argenteuil et se perd en s’éloignant de la route de Mantes pour arriver finalement dans les environs de Pontoise, à Boismont.

Le personnage de Leguen et le romancier Eugène Dabit

Leguen est un peintre au chômage qui, reprenant de temps à autre du service, « sans plaisir barbouillait des enseignes » (p. 23). Marqué par ses trois années de mobilisation, cet ancien poilu est à la fois désabusé et désireux de liberté : il a refusé de reprendre son travail après la guerre, d’autant plus que sa femme Suzanne l’avait quitté peu de temps avant l’Armistice. Aussi Leguen a-t-il suivi l’atmosphère générale du retour de la guerre, caractérisée par la défiance envers les « professeurs d’héroïsme et de vertu » et le désir profond de « vivre libre, au jour la journée, qu’importe ! » (p. 23). L’intrigue de La Zone verte se situe donc après la guerre de 14-18, et plus précisément après les années 1920-1928 – « le temps de la prospérité, des combines, on prenait sa revanche de quatre années de servitude et de misère » (p. 23) –, vers 1930, alors qu’ « insensiblement une nouvelle guerre avait commencé, silencieuse et blanche, pour gagner sa croûte, dénicher une place, et [que] cette fois on trouvait des ennemis dans tous les camps » (p. 23) (...).

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