26/11/21

« On ne peut que se réjouir de cette réédition »

Recension de Fils de voleur de Manuel Rojas par Christian Roinat sur le site America Nostra.

L’automne serait-il la saison propice aux rééditions de textes devenus des classiques ou ce qu’on appelle des romans-cultes ? Cette année, les reprises d’œuvres qui ont gagné leurs galons et que des éditeurs considèrent comme indispensables, à juste titre, se multiplient, on ne peut que s’en réjouir.

Depuis quelques semaines, americanostra présente plusieurs de ces rééditions, des « classiques » ( Roberto Bolaño, Manuel Rojas et Reinaldo Arenas), des « populaires » (Luis Sepúlveda) des « modernes » (Martín Mucha).

Manuel Rojas, d’origine chilienne, est né à Buenos Aires en 1896. Autodidacte, il s’intéresse très jeune à la littérature et écrit pour des journaux, en Argentine et au Chili. Il est mort à Santiago en 1973.

Fils de voleur

1951 / 2021

Aniceto, le narrateur, a pour père un célèbre voleur dont la réputation est internationale, comme ses larcins. La vie de famille est malgré tout assez sereine, entre deux incarcérations. Malheureusement la mort brutale de la mère suivie de l’arrestation du père, cette fois pour très longtemps, contraint les quatre fils à s’éparpiller pour survivre. Aniceto, 17 ans, nous raconte son errance à travers l’Argentine et le Chili.

Buenos Aires, Valparaiso, quelques lieux argentins servent de décor à la dérive picaresque d’Aniceto, à ses rencontres avec des hommes et quelques femmes, très peu, aussi marginaux que lui. Les sociétés argentine et chilienne sont bien présentes, mais restent à l’écart, lui vit dans un autre monde, un misérable salaire de temps en temps lui donne à manger, un peu, un petit boulot dans la menuiserie et il retourne à la rue, entouré de beaucoup de gens comme lui, et il reste tellement seul, en dehors de quelques rares moments, par exemple une émeute dans le quartier du port, à Valparaiso. Une foule renverse un tramway, affronte la police, certains pillent les magasins, et tout se termine par une virée dans les bars… et une arrestation inattendue.

Les atmosphères successives dans lesquelles se retrouve le pauvre Aniceto se rapprochent de celles du Quevedo du Buscón, du Arlt du Jouet enragé ou du Dostoïevski de Souvenirs de la maison des morts, mais dans un contexte moderne, celui du milieu du XXème siècle. Elles font aussi penser à ce qu’écriront un peu plus tard Francisco Coloane et Luis Sepúlveda (qui appréciait beaucoup le Fils de voleur). On y voit l’errance d’un brave gars poussé malgré lui (l’hérédité peut-être, l’« éducation ») vers une petite délinquance traquée par l’autorité, par la société. Aniceto est-il anarchiste ? Pas vraiment. Libertaire ? Sans aucun doute, mais plutôt poussé à l’être que l’ayant voulu. Il se qualifie d’ailleurs lui-même de solitaire. Solitaire comme  un ou plusieurs de ses compagnons de cellule, une dizaine d’hommes, une dizaine de solitaires qui se ressemblent tous dans leur misère.

La traduction est savoureuse, restituant un léger parfum des années 1950, elle suit les méandres d’un récit qui peut abandonner en chemin un personnage, même important, pour un retour en arrière de plusieurs années. Ce qui compte c’est de faire le portrait d’un jeune homme victime de son hérédité qui en profite tout de même pour tenter d’égaler son père, voleur et célèbre.

Manuel Rojas