27/05/22

« Les conséquences néfastes de la vie "sans efforts ni contraintes" »

Recension d'Homo confort de Stefano Boni par Mikaël Faujour dans Marianne.

Dans « Homo confort » (L'échappée), l'anthropologue italien Stefano Boni analyse la quête du confort, fait central des sociétés développées. Il y met en évidence un impensé politique et ses conséquences : perte d'autonomie individuelle et collective impliquée par la dépendance aux technologies et rupture avec le monde naturel qui empêche de saisir le désastre en cours.

« Le projet politique global et indiscutable de la seconde moitié du XXe siècle aura été la démocratisation partielle du confort et des formes de consommation qu'il induit, bien plus que la démocratisation de la vie politique fondée sur la participation active des citoyens et sur la mise à disposition d'informations tant soit peu fiables », estime Stefano Boni. Paru en Italie en 2014, l'essai démontre que le confort, un fait clé des sociétés contemporaines urbanisées, désindustrialisées et dominées par l'économie de services, est un angle mort de la politique. Or, la vie « sans efforts ni contraintes » a un prix : la perte d'autonomie des individus au profit d'une dépendance croissante aux technologies.

Pourtant, la promesse de bien-être est illusoire car, observe l'auteur, « il est possible de vivre confortablement tout en allant très mal. La quête du confort illimité a fait son temps et il est devenu impossible d'oblitérer ses effets collatéraux : sentiment de mal-être existentiel, appauvrissement des sens, pollution meurtrière et perte progressive de nos compétences. »

La nature, une abstraction

L'auteur distingue hypotechnologie et hypertechnologie. La première renvoie principalement à la technique artisanale, qui ne nécessite pas d'énergies fossiles, mais mobilise le corps et l'esprit. Celle-ci, écrit-il, « se concrétise par la synergie, récurrente mais jamais identique, entre l'intentionnalité de la gestuelle humaine, la fonctionnalité de l'outil et les caractéristiques de la matière travaillée ». Soit le contraire de l'hypertechnologie, dans laquelle « la mécanisation décontextualise les processus de production » et « l'acte technique n'est plus attribuable à une personne en particulier ». Elle « ne requiert pas […] d'aptitudes sensorielles ou manuelles particulières ». L'incapacité à réparer soi-même le moteur de sa voiture en est une illustration : sur ce monde, l'individu n'a pas de prise.

Selon Stefano Boni, « l'idéal contemporain est celui d'un corps sain vivant dans un milieu artificiel, méticuleusement filtré et coupé de tout contact avec la nature quelle qu'elle soit ». En effet, le revers de la facilité et de l'absence d'effort (des légumes vendus déjà épluchés aux robots-tondeuses…), c'est le saccage de l'environnement. Car, si nous n'avons « qu'une représentation purement imaginaire du monde naturel, en tant qu'elle repose sur une expérience tronquée de sa réalité matérielle », si la nature est « évacuée de notre expérience quotidienne », elle n'est qu'une abstraction. D'où une « occultation des aspects les plus dérangeants de son exploitation comme les conditions d'élevage et d'abattage des animaux dans les fermes industrielles, la prolifération des déchets toxiques, la chute dramatique de la biodiversité. » (...).

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Stefano Boni