« Le désert numérique »
Recension du Désert de nous-mêmes et de Penser à temps d'Éric Sadin par Le phénix sur Agora Vox.
Les intérêts très privés de l’industrie numérique ont persuadé l’espèce connectée et consommatrice de gadgets électroniques d’un dessaisissement d’elle-même et de ses libertés, c’est-à-dire de « son droit à décider, en conscience et responsabilité, des choix qui la regardent ». Jusqu’à la « négation d’elle-même », rappelle le philosophe Eric Sadin qui prend acte de l’entrée dans « l’ère de la suprématie effective et symbolique du règne artificiel » où l’humain sera « exclu de la marche des choses ».
Depuis une génération, Eric Sadin, philosophe attentif des mutations numériques, construit une œuvre capitale de vigilance sur la « longue déprise historique de nous-même » qui atteint son stade terminal avec la frénésie technologique innovatrice, la marchandisation intégrale de la vie et l’avènement de « systèmes computationnels » investis du pouvoir d’ « expertiser le réel » et d’ « énoncer la vérité » à la place d’une humanité tragiquement « absente d’elle-même »…
Celle-ci s’est plié à la sempiternelle injonction à s’adapter à la cadence des flux ondulatoires supposés assurer « à chaque instant la meilleure marche des choses » comme elle a consenti à une « substitution logicielle » aboutissant à des « situations de déclassement, d’avilissement, d’indignité » dans le monde du travail.
L’espèce parlante et présumée pensante a collaboré pour le moins à l’avancée du désert survenue avec la nuit glacée des écrans plats tombée sur ce qui ne fait plus « monde », à l’automatisation intégrale de sa vie et à l’avènement d’un « verbe artificiel ordonnateur » qui la prive de parole – de son logos.
Dans son dixième essai sur l’emprise numérique, Eric Sadin a pris acte de ce statut anthropologique inédit qui voit « la figure humaine se soumettre aux équations de ses propres artefacts », tout ça pour répondre à des intérêts privés prétendant, par une intense politique de lobbying, « instaurer une organisation de la société en fonction de critères principalement utilitaristes ».
Depuis le lancement de ChatGPT, fin 2022,cette emprise atteint un point de non-retour avec le tournant injonctif de la technologie : « Ce à quoi nous allons nous allons être confrontés, c’est davantage qu’à une rupture anthropologique : à la fin – à la négation radicale – de notre anthropologie. Un état anti-anthropologique. Nous nous apprêtons à passer le relais à l’univers robotique autant que, dans le même mouvement, à tourner le dos, ou à dire adieu, à notre condition – celle qui nous fonde depuis des millénaires. » (...).
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