« Kirkpatrick Sale, une vie contre les machines »
Recension de La révolte luddite de Kirkpatrick Sale par Nicolas Celnik dans Reporterre.
Dans « La révolte des luddites », Kirkpatrick Sale racontait les débuts, en 1811, de la lutte contre notre dépossession par les machines. Trente ans plus tard, il est toujours « sans espoir d’éviter le désastre ».
Janvier 1995, auditorium municipal de New York, 1 500 personnes. Un homme se lève, la cinquantaine avancée, habillé avec le raffinement d’un universitaire. Il prononce un discours très court, une minute à peine, puis se dirige vers un petit ordinateur IBM. D’un coup de marteau, il en brise l’écran ; d’un autre, il en détruit le clavier. Kirkpatrick Sale sourit, s’incline devant la salle — quelques applaudissements polis se font entendre au milieu du silence médusé —, et va se rasseoir. Ce geste lui a valu d’entrer dans l’histoire des critiques des technologies.
Kirkpatrick Sale est alors un journaliste peu connu ; il collabore avec plusieurs revues étasuniennes parmi lesquelles le New York Times, The Nation ou Mother Jones, et il a publié une petite dizaine de livres. Celui pour lequel il était invité ce jour de janvier 1995 traite d’un sujet qui préoccupe Sale de longue date : les ravages de la technologie sur la société. La révolte des luddites, publiée au début du XXIe siècle, fait encore parler de lui aujourd’hui : une nouvelle édition vient d’être publiée par les éditions de l’Échappée. Sale y raconte, avec force détails et mises en scène spectaculaires, un épisode fondateur de la contestation du machinisme, qui a donné son nom au luddisme.
Nous sommes entre 1811 et 1813, au cœur de l’Angleterre. Cette région rurale est alors le centre de la production de textile du pays ; depuis peu, des métiers à tisser automatiques bouleversent la société. Les patrons se passent des artisans et de leur savoir-faire, qui sont remplacés par des ouvriers « isolés et interchangeables ». La naissance du « premier système de production industrielle » ne se fait pas sans heurts : partout à travers le pays, des ouvriers brisent ces métiers à tisser, et se fédèrent sous la bannière d’un personnage mythique, le « commandant » ou le « roi » Ned Ludd. Kirkpatrick Sale le rappelle : loin d’être un mouvement d’obscurantistes décérébrés, les luddites augurent une nouvelle forme de révoltes du mouvement ouvrier, qui défendent leurs conditions salariales et leur savoir-faire face à des dispositifs déployés dans le but explicite de réduire les coûts de la main-d’œuvre. Le bris des machines est une stratégie d’action, au même titre que la grève ou les manifestations. « Tout au long du XIXe siècle et jusqu’au XXe […] le sabotage a compté parmi les modes d’action du mouvement ouvrier », rappelle Sale.
Le livre de Sale n’est pas devenu un best-seller. À vrai dire, c’est autre chose qui a plutôt retenu l’attention d’un certain nombre d’observateurs : une interview qu’il a donné au journaliste Kevin Kelly, quelques mois après, et qui lui coûtera 1 000 dollars (...).
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