« Job apocalypse : face à l’IA, "l’humain ne représente qu’une simple variable comptable", explique Éric Sadin »
Entretien avec Éric Sadin, auteur du Désert de nous-mêmes et de Penser à temps, par Pierric Marissal dans L'Humanité.
Alors que ChatGPT fête cette semaine ses trois ans, les premiers effets concrets de cet outil se font ressentir. Le travail est pleinement concerné, et le philosophe Éric Sadin appelle les collectifs de travailleurs à refuser collectivement l’IA générative.
L’IA générative, tel ChatGPT, inaugure un tournant créatif et intellectuel de la technologie qui nous mène à la catastrophe, explique Éric Sadin, lequel développe une critique humaniste du numérique depuis maintenant quinze ans. Il distingue bien les intelligences artificielles – comme celles qui organisent les entrepôts Amazon, et participent à une rationalisation du travail – des IA génératives.
Celles-ci vont entraîner des destructions d’emplois dans les métiers des services : cela a commencé et ce n’est que le début, alerte le philosophe, qui explore les conséquences de ces technologies dans son dernier ouvrage, le Désert de nous-mêmes (l’Échappée).
Les premiers plans de licenciement massifs s’enchaînent, on parle de plusieurs dizaines de milliers de personnes chez Amazon, Accenture, Nestlé… Est-ce le début d’une « job apocalypse », comme l’a annoncé le Financial Times ?
Éric Sadin : Il est arrivé, ce moment où nous sommes confrontés aux premières grandes conséquences des IA génératives. Pas un jour sans que nous parviennent des témoignages de professeurs qui ne comprennent plus le sens de leur mission ; dans la Silicon Valley, l’on se met à parler d’une « job apocalypse » ; dans le champ de la culture, des plateformes, tel Spotify, se voient inondées de morceaux synthétiques ; sont de plus en plus documentés les phénomènes de dépendance affective vécue à l’endroit de systèmes, particulièrement par des adolescents, qui vont jusqu’à leur confier leur état d’âme et qui, dans des cas extrêmes, ont conduit à des suicides.
Des effets dévastateurs qui, d’ores et déjà, pourraient être égrenés sur de longues lignes et dont on pressent que ce ne sont là que des prémices. Or, plutôt que de nous être jetés tête baissée sur ces oracles parlants, avons-nous pris le soin de mesurer l’ampleur des conséquences ?
Nous ne l’avons pas fait et, en cela, nous avons fait montre d’une très coupable faillite morale collective. L’utilitarisme pathologique a prévalu sur le principe de précaution et l’impératif de la réflexion et d’une mise en œuvre de chantiers de travail qui auraient dû être menés à toutes les échelles de la société (...).
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