« Guerre d’Espagne, guerre sociale»
Recension de Folies d'Espagne de Freddy gomez par Sébastien Navarro dans À contretemps.
Disons, par commodité, que c’était il y a un peu plus de trente ans. Disons que j’avais la vingtaine et que je sortais, très tardivement, de l’œuf. Soit d’une longue adolescence et d’un milieu familial modeste où régnait un désert tant culturel que politique. Disons, enfin, qu’il y eut cette fondamentale rencontre avec un couple d’amis qui me fit bifurquer et entrevoir les rivages du continent Anarchie – et de sa fille aînée : la Révolution espagnole. Avouons, surtout, que de cette grande fresque humaine je ne comprenais pas grand-chose et que, pétrifié par mon inculture, je me décidai à y remédier en lisant tout ce qui me tomberait sous la main. Mon premier achat fut aussi hasardeux que malheureux, un poche intitulé sobrement La Guerre d’Espagne d’un certain Guy Hermet [1]. Fier de ma trouvaille, je le présentai à mes amis qui grimacèrent : pas sûr que je trouve là-dedans matière à penser les enjeux soulevés par ces trois années de guerre civile. Pas sûr non plus que j’y rencontre la Révolution...
Des années plus tard, je l’ai revisité sommairement ce bouquin édité en mars 1989. Il suinte la posture mandarinale et l’académisme aux ordres où la guerre civile espagnole se résume ainsi : dans son tortueux chemin vers l’unité nationale et la démocratie libérale, l’Espagne s’est déchirée au cours d’une séquence vue comme le « rattrapage dramatique [d’un] retard historique ». Avec comme malheureux corollaire, ces excès commis par les « extrémistes de gauche comme de droite »… L’historien Hermet semble voir dans la visée libertaire un exotisme à la fois perché et terrifiant ; en Aragon, « l’hégémonie des courants les plus illuminés de l’anarchisme y fait que la propriété et la monnaie s’y trouvent purement et simplement abolies en mains endroits ». Dans cette « mutation sociale un peu trop forcée », règne ici un « puritanisme moral assez hallucinant » tandis qu’ailleurs, dans le Sud andalou par exemple, des « nouveaux bandits de grand chemin deviennent les gardes civils qui ont pris le maquis et survivent en volant alentour ». Selon Hermet, « l’exubérance révolutionnaire assez terrifiante des anarchistes » a tout fait pour saper le rempart républicain antifasciste. Pire : « Le règne des milices ouvrières ne fait pas obstacle ou participe même à la furie meurtrière qui frappe l’Espagne dite loyaliste pendant les premiers mois de la guerre civile. » Surtout, Hermet-le-pieux semble particulièrement hanté par l’« holocauste » antireligieux – la « plus grande hécatombe anticléricale avec celle de la France révolutionnaire puis du Mexique d’après 1911 » – auquel il consacre de nombreuses pages. Voilà pour le topo circonstancié de ce spécialiste de l’histoire des démocraties et des populismes. Voilà pour cette mise en bouche qui aurait pu, alors, me vacciner contre l’« extrémisme anarchiste ». Fort heureusement la suite a été toute autre (...).
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