09/05/25

« Emma Goldman, l'anarchie au féminin »

Recension de Vivre ma vie d'Emma Goldman par Jean-Marie Pottier dans Sciences Humaines.

Entre Russie, États-Unis et Europe, la militante anarchiste et féministe a mené une existence aventureuse scandée par des séjours en prison, qu’elle a narrée avec style. Plus de quatre-vingts ans après sa mort, elle continue d’inspirer.

Un vent glacé souffle sur Ellis Island, dans la baie de New York, en cette nuit du 21 décembre 1919. À deux heures du matin, les portes des cellules du centre de détention s’ouvrent : « Levez-vous, et préparez vos affaires ! », lancent les gardes aux condamnés, bientôt déportés pour des opinions jugées radicales. La presse et des élus du Congrès ont été invités, comme au spectacle. Certains relèveront un vif échange entre un homme et une femme, à la personnalité aussi forte que leur taille est modeste. « Ne vous ai-je pas offert un arrangement honnête ? », affirme J. Edgar Hoover, alors jeune fonctionnaire de même pas 25 ans promis à une brillante et controversée carrière à la tête du FBI. « Oh, aussi honnête qu’il vous était possible, je suppose , réplique son interlocutrice, qui a l’âge d’être sa mère. Il ne faut pas attendre de quelqu’un quoi que ce soit au-dessus de ses capacités. » Trente-cinq ans après son arrivée aux États-Unis, la militante anarchiste Emma Goldman (1869-1940) s’apprête à monter sur un navire que la presse a baptisé l’« arche rouge », pour regagner malgré elle sa Russie natale.

et aller-retour forcé entre la vieille Europe et le nouveau Continent constitue une des lignes de force, et de fracture, d’une existence palpitante : celle d’une émigrée, puis d’une proscrite nourrie par la pensée européenne et le rêve américain. Celle d’une militante parfois vue comme une dangereuse étrangère aux États-Unis, et comme une Américaine individualiste en Europe. Celle d’une femme à qui l’écrivain Theodore Dreiser lança un jour, lors d’un déjeuner à Paris : « Tu dois absolument écrire le récit de ta vie, elle est la plus riche jamais vécue par une femme de ce siècle. »

La vie d’Emma Goldman commence en 1869 dans une famille juive installée dans la région de Kaunas, dans l’actuelle Lituanie – à l’époque elle fait partie de l’Empire russe. Elle est l’aînée du second mariage de sa mère, Taube, qui a eu deux filles d’un premier lit. Son père, Abraham, est un homme dur, rendu amer par un échec professionnel. Pour lui, seuls les fils comptent ; les filles ne sont bonnes qu’à se marier et à cuisiner la carpe farcie. Sa famille s’installe successivement à Königsberg, en Prusse, puis à Saint-Pétersbourg. De sa jeunesse, Emma Goldman garde une prédisposition naturelle à l’indignation contre l’injustice, celle qui frappe les serviteurs corrigés par leurs maîtres, les paysans victimes du fouet des nobles, les jeunes gens arrachés de force par l’armée, ou encore les Juifs interdits d’aimer des Gentils. « Aussi loin que je me souvienne de ma jeunesse en Russie, je me suis rebellée contre l’orthodoxie sous toutes ses formes », écrit-elle en 1934, au soir de sa vie, dans un article en forme de bilan 1. En 1885, elle obtient de son père, en menaçant de se jeter dans la Neva, de partir aux États-Unis, avec sa demi-sœur Helena. Elle veut rejoindre son autre demi-sœur, installée à Rochester près de New York. Chassés par un antisémitisme croissant, leurs parents les rejoindront un an plus tard (...).

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Emma Goldman