28/04/21

« Désarmer le béton »

Recension de Béton d'Anselm Jappe par Alexandre Chollier dans Le Courrier.

A sa sortie, un ami m’avait au détour d’une conversation confié: «Ce livre parlera au géographe.» Il ne se trompait pas. Mais l’automne passa, puis l’hiver, avant que je ne trouve, avec le retour du printemps, le temps de me plonger dans Béton1, dont le propos n’en finit plus de résonner au gré des dépêches, qu’elles viennent d’ici ou d’ailleurs, qu’elles concernent ce lieu ou un autre, voire le monde en entier. Qu’il s’agisse de «peser» en regard du vivant la masse de tout ce qui est produit par nos sociétés – il n’y a pas de matériau que nous ne fabriquons en plus grande quantité –, de se retourner sur la destruction illégale d’une vieille bâtisse ayant abrité la première ZAD de Suisse ou encore de rester saisi·es d’angoisse devant les photographies des digues anti-tsunami érigées sur la côte nord-est de l’île du Honshû, au Japon.

Concernant ces dernières, il faut lire l’article de Philippe Pons paru le 31 mars dans Le Monde.2 On y apprend que le bétonnage post-Fukushima des littoraux n’a pas seulement défiguré près de 400 kilomètres de côtes mais bouleversé l’économie et la culture piscicoles de communautés entières. Sur la base d’un discours d’atténuation des risques, mais surtout sous la pression des lobbyistes du gros œuvre, d’énormes murailles ont surgi, certaines mesurant près de 15 mètres, gommant la vue de l’océan au quidam passant ou vivant là, «sans pour autant garantir pleinement la sécurité du littoral». Le Japon a déjà cédé à la frénésie constructive par le passé, mais cette fois «les digues sont plus hautes, plus longues, plus massives que celles construites auparavant».

Ceci, le béton l’a rendu possible, ou plus exactement sa version armée, dont le principe n’a guère qu’un siècle et demi. Non le matériau en soi, la chose concrète par excellence – béton se dit «concrete» en anglais – ou les édifices qu’il permet d’ériger, voire les techniques de construction qu’il autorise, mais sa logique même.

C’est la force et l’intérêt du livre d’Anselm Jappe de rappeler que le béton est ainsi l’incarnation de la logique de la valeur, «le côté concret de l’abstraction marchande». On peut, avec l’auteur, rappeler l’anecdote suivante. Lorsqu’une commission d’architectes vient visiter en1853 l’un des premiers bâtiments en «pierre liquide», le constat ne fait aucun doute: les matériaux utilisés sont de moindre valeur et les ouvriers qualifiés ont été remplacés par des manœuvres. Avec de telles prémisses, l’«épopée» du béton peut commencer.

Pour lire la suite : www.lecourrier.ch/2021/04/28/desarmer-le-beton/

Anselm Jappe