20/12/21

« Brasero, un nouveau foyer de contre-histoire »

Entretien de Cédric Biagini et Patrick Marcolini, coordinateurs de Brasero, avec Sylvain Boulouqe sur le site Les Influences.

L’idée : Avec cette nouvelle revue créée par Cédric Biagini et Patrick Marcolini, rappeler et mieux comprendre les luttes sociales du passé, alors que sévissent la société de l’oubli et la perte de références communes. Entretien.

Brasero donc, le feu libertaire couve toujours. Une belle revue, avec une magnifique maquette, dans laquelle il est question d’histoire, celle des rebelles et des révoltés. Elle se présente comme une étincelle qui cherche à rallumer le feu dans la plaine de l’ennui, le ronron éditorial et le misérabilisme d’une histoire fragmentée faisant la part belle aux minorités mais oubliant les conflits majeurs relevant de la question sociale. Elle redonne vie à quelques sans noms, sans grades, ni galon et uniforme, aux gueux et aux obscurs. Elle préfère les révoltés aux révolutionnaires au pouvoir. Ce beau cocktail allume des contre feux qui méritent d’être lus. C’est le portrait de quelques incendiaires et autres marginaux. Les articles sont passionnants. Quelques exemples : les usages de la cocaïne dans les bas-fonds de Montmartre dans le premier tiers du XXe siècle; les agressions par les piqueurs; les marins de Kronstadt; Anna Mahé, l’ancienne proche de Jules Bonnot qui inventa le jokari ou la figure mythique de Joe Hill, le chansonnier syndicaliste, vagabond et libertaire et des portraits de la chanteuse Gribouille et du regretté éditeur Tchou. Il ne s’agit que de quelques articles. La revue en comporte une bonne vingtaine dont un très bel entretien avec une pétroleuse, Annie Le Brun. Deux des animateurs, Cédric Biagini et Patrick Marcolini expliquent ce projet incendiaire et subversif…

Votre revue s’inscrit dans la tradition libertaire, vous cherchez semble-t-il à combler un manque, pouvez-vous nous expliquer les choix qui ont prévalu à la création de la revue.

C.B & PM : Le mouvement libertaire dont nous nous revendiquons a toujours eu un rapport très fort à l’histoire, et à son histoire. N’importe quel militant, quel que soit son niveau d’éducation, était capable de citer les grandes dates qui ont jalonné l’histoire des révoltes et des luttes sociales, et de saisir un certain nombre d’enjeux politiques déterminants qui se sont posés depuis le XIXe siècle (réforme ou révolution, plateformisme contre synthésisme, communisme ou collectivisme, Internationale anti-autoritaire, etc.). Bref, il était impossible de penser le monde actuel et les combats à venir sans s’inscrire dans une aventure commune inscrite sur un temps long. Or, depuis une vingtaine d’années, on assiste à une rupture du fil historique. Cela n’est d’ailleurs pas propre aux mouvements d’émancipation et se retrouve dans l’ensemble de la société, malgré l’obsession actuelle pour les commémorations – qui est sans doute un symptôme de cette société de l’oubli. Mais c’est d’autant plus significatif dans ces milieux politisés parce que l’histoire y jouait un rôle important, voire structurant.

Au travers des différents ouvrages publiés à L’Échappée, et de notre collection « Dans le feu de l’action », nous tentons de maintenir vivant un intérêt pour l’histoire. Seulement, force est de constater que dès qu’un ouvrage traite de sujets relativement pointus, ou plutôt considérés comme tels pour l’époque, et/ou n’aborde pas un thème à la mode, son lectorat se réduit, parfois hélas à peau de chagrin. Et ce, alors que nous recevons beaucoup de manuscrits forts intéressants et que de nombreux complices de notre maison d’édition travaillent sur des sujets passionnants. Il était donc temps de trouver un format qui puisse accueillir ces contributions. Et quoi de mieux qu’une revue !

Vous vous situez totalement à contre-courant : alors que la majorité du mouvement libertaire a célébré dans une forme de communion avec la gauche léniniste l’anniversaire de la Commune de Paris, inversement vous rappelez l’anniversaire de l’autre Commune, celle de Kronstadt. Pourquoi ?

En effet, nous avons été très surpris que le centenaire de Kronstadt passe autant inaperçu, alors que, il y a encore une ou deux décennies, le mouvement libertaire l’aurait fêté en grande pompe, affirmant ainsi qu’il n’était pas inéluctable que les perspectives révolutionnaires se perdent dans le léninisme, puis le stalinisme. Ce moment de la révolution russe où les marins, les soldats et les ouvriers réclamant la démocratie des assemblées populaires contre la dictature du Parti communiste, ont été écrasés militairement par l’Armée rouge, sur ordre de Trotski lui-même, cristallisait l’opposition entre les tendances totalitaires et anti-autoritaires du socialisme. En oubliant, voire en effaçant, ces tensions pourtant si structurantes, on a vu émerger une forme de syncrétisme qu’illustre parfaitement l’anniversaire des 150 ans de la Commune de Paris, fêté autant par Anne Hidalgo que par tous les courants se revendiquant de l’émancipation, même radicaux. Les lignes de fracture semblent aujourd’hui se dessiner sur d’autres plans (...).

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