« Annie Le Brun, une poétesse en liberté »
Recension de L'insistant désir de voir s'élargir l'horizon d'Annie Le Brun par Sébastien Lapaque dans Le Point.
L’an dernier disparaissait cette écrivaine de grand style. Un recueil de ses interventions publiques, « L’insistant désir de voir s’élargir l’horizon » (L’Échappée), rappelle sa formidable indépendance d’esprit.
Qui se souvient d'Annie Le Brun ? Dans sa vie, cette agitatrice culturelle de grand style a fait de grandes choses, mais pas carrière. Le 29 juillet 2024, elle s'en est allée sans un bruit, âgée de 81 ans, persuadée que c'est ce qui pouvait arriver de plus heureux à une figure des avant-gardes : avoir fait son temps. « Juste une buée furtive / Sur les fenêtres des lèvres / Avant de disparaître », avait-elle annoncé dans un poème repris dans Ombre pour Ombre (Poésie/Gallimard, 2024). À la pointe aiguë des joutes intellectuelles de son temps, Annie Le Brun n'a jamais été attirée par les matins plébéiens de Moscou ou les nuits câlines de Pékin. « À distance », elle a regardé avec consternation ses contemporains s'enfoncer dans les marais puants de l'idéologie.
Invoquant Virginia Woolf, Lou Salomé, Emily Brontë et son amie la peintre franco-tchèque Toyen, cette dernière poétesse surréaliste s'est engagée en combat singulier contre le militantisme néo-féministe dès les lendemains de Mai 68, un mouvement qui « s'est mal terminé, en ce que n'en survécut que ce qui en était la caricature ». Accessible aux discours sur la réappropriation de leur corps par les femmes et les aventures infinies du plaisir, elle a été navrée par leur extension politique aux États-Unis et surtout par leurs répliques françaises. « Voilà qu'au moment où, grâce à la révolution anthropologique suscitée par la pilule, les filles pouvaient pour la première fois inventer leur liberté, ces féministes-là n'avaient comme idée que de se rassembler pour mieux se ressembler, et tomber dans les caricatures idéologiques, staliniennes ou maoïstes, dont on venait pourtant une nouvelle fois de faire les frais. Devenu le repoussoir absolu, l'homme remplaçait “l'ennemi de classe” et l'“écriture féminine”, en prise directe sur le vagin, était glorifiée comme l'avait été “l'art prolétarien”. Je n'y ai pas tenu. » (...).
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