« Vagabondages littéraires et politiques dans la vie de Georges Navel »
Recension de Passages de Georges Navel par Jean-Jacques Bedu dans Mare Nostrum.
Il faut une obstination tendre, une forme d’engagement éditorial devenu rare, pour continuer de creuser le sillon des marges, pour exhumer des textes dont la beauté rugueuse nous rappelle ce que fut naguère la « grande » la littérature. Les éditions L’Échappée, dont nous avions déjà salué ici même le travail méticuleux sur les Juifs de Belleville, la parole incandescente d’Hannah Arendt, ou l’extraordinaire Paris Opium, persistent et signent. Avec la réédition bienvenue de Passages de Georges Navel, ultime ouvrage paru de son vivant en 1991, c’est une pièce maîtresse de son œuvre, et peut-être la plus intime, qui nous est rendue. Cette entreprise prend d’autant plus de sens qu’elle est enrichie d’une préface éclairante signée Roméo Bondon. Revenir à Passages, c’est donc accepter de se laisser guider par une voix singulière, celle d’un homme dont l’existence entière fut une traversée, entre usine et grand air, silence et insurrection, travail manuel et lent surgissement de l’écriture.
Maidières, ou le tissu sensible du monde
Le premier mouvement de Passages nous plonge dans la prime enfance, à Maidières, ce hameau lorrain où le monde s’offre comme une matière brute, dense, pétrie de sensations pures. Georges Navel nous restitue le tissu sensible de ces années fondatrices avec une acuité remarquable. L’écriture épouse les perceptions enfantines, capte les odeurs mêlées de la terre et de l’étable (« odeurs de soufre, de gaz phosphorique, de fumées des hauts fourneaux » ou, plus loin, celles, contrastées, du « schuh-crème pour cirer ses bottes » et du « suint de mouton »), les jeux de lumière dans la grande chambre familiale, le fracas des trains sur la voie ferrée voisine, le poids des saisons sur les gestes et les corps. C’est une phénoménologie du quotidien qui se déploie, où chaque détail – la texture d’une robe, le son d’une cloche, le goût d’une mirabelle – devient le vecteur d’une connaissance intime, presque tellurique, du réel. L’univers enfantin de Georges Navel est celui d’une immersion, d’une participation intense à un monde dont il apprend, par capillarité sensorielle, les rythmes, les dangers et les beautés simples. L’écriture ne cherche pas l’analyse psychologique, mais la restitution d’une présence au monde, pleine, immédiate, où le corps de l’enfant est la caisse de résonance de toutes les vibrations alentour (...).
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