27/01/21

« Une mise en cause implacable du béton »

Recension de Béton par Michael Löwy dans Le Monde diplomatique (février 2021).

Anselm Jappe est l’un des penseurs les plus intéressants de l’école de la critique de la valeur. Dans ce nouvel essai, il développe une mise en cause implacable du béton en tant qu’incarnation de la logique capitaliste. À ses yeux, il est le pendant concret de l’abstraction marchande, du travail abstrait, de la valeur qui se valorise elle-même. Comme celle-ci, le béton est purement quantitatif : il annule toutes les différences et impose l’uniformisation partout dans le monde. Produit en quantités astronomiques, avec des conséquences écologiques — émissions de CO2 — et sanitaires désastreuses, il étend son emprise sur toute la planète en assassinant les architectures traditionnelles. Monotonie du matériau, monotonie des constructions que l’on bâtit en série, le béton a une durée de vie fortement limitée, conformément au règne de l’obsolescence programmée. Sa logique, combattue par des penseurs révolutionnaires comme William Morris ou Guy Debord, trouve son apothéose dans le « fascisme en béton armé » d’un Le Corbusier, qui rêvait d’abolir les rues et de bâtir des « machines à habiter ».

Anselm Jappe