30/11/20

« Une belle collection de hors-la-loi défiant l’ordre économique, social et politique »

Recension de Bandits & Brigands par Ernest London sur le site de la Bibliothèque Farenheit 451 et de Lundi Matin.

Huit figures du « banditisme social » racontées par huit auteurs. Classique ou contemporain, solitaire ou en bande, sur tous les continents, chacun-e à sa manière s’est érigé-e en justicier-ère.

Émilien Bernard brosse le portrait du « célèbre Ned Kelly, le roi du bush, le Robin des Bois version kangourous », depuis la destruction des registres de prêts hypothécaires jusqu’à sa fin qu’il voulu épique et qui deviendra légendaire.

Rob Roy, brigand des Highlands, est évoqué par Thomas Giraud avec beaucoup de sensibilité et dans une prose d’une inégalable élégance. Convoyant des troupeaux, ce voleur écossais en prélève dans la plus grande discrétion une infime partie. « Ces moutons et ces brebis dérobés, il les redistribue, il égalise. » Puis, un jour, c’est le troupeau tout entier. « Avant Adam Smith et un peu différemment, il se trouve des airs de main invisible dans cette capacité désarmante, et désarmée, à ôter autant avec si peu. » Pourtant, « il ne se sent pas voleur, ce n’est pas ainsi qu’il se nommerait, enfin pas vraiment, pas complètement. Il a une explication là-dessus, solide, définitive et efficace. La voici. Qu’est-ce qu’être un voleur ? D’une, les définitions des livres, des recueils de droit et de jurisprudence n’aident pas, elles confondent la cause et la conséquence. De deux, il a noté que le voleur est toujours celui que les puissants désignent comme tel en identifiant de manière bien opportune des intérêts, des biens qui ne peuvent passer entre d’autres mains sans l’accord préalable des possédants. Celui qui prend de la nourriture pour survivre, juste ce qu’il faut, une pomme pour un repas, un peu de farine pour un pain, est-ce un voleur ? Et celui qui fait un travail et, dans le cadre de celui-ci, prélève un peu plus afin de redistribuer une partie de ce supplément à d’autres, à d’autres qui ont peu, ou beaucoup moins, qui ne mangent pas toujours à leur faim, qui n’ont ni noms, ni couteaux, ni terre ? Est-ce vraiment un voleur ? » Le récit de son errance pour échapper à ses poursuivants est tout simplement sublime.

L’enfance de Hend U Merri, l’insoumis kabyle, est racontée par Sarah Haidar, sa rencontre précoce avec la faim, avec l’injustice. Il devient rapidement dangereux et passe à l’attaque, car ne demandait pas « l’amélioration d’un monde mais son abolition ».

La vie de Phoolan Devi est d’une rare violence : « Je suis née moins qu’un chien, mais je suis devenue une reine » explique son autobiographie. Indienne, issue de la plus basse des castes, mariée à 11 ans, violée, rejetée, elle rejoindra les dacoïts et deviendra leur cheffe, pour répandre la vengeance, avant d’être assassinée, en 2001. La postérité s’empare alors de sa légende, des statuettes à son effigie vendues sur les marchés jusqu’à ce récit poignant, imaginé par Linda Lê.

Plutôt que de proposer une classique reconstitution épique et linéaire, chacun des auteurs s’efforce d’utiliser une forme narrative appropriée, relevant bien souvent plutôt de l’évocation. Ainsi Patrick Pécherot glane autant aux sources historiques qu’à la mémoire populaire pour restituer la personnalité de Cartouche, lui donnant tantôt le visage de Jean-Paul Belmondo dans le film éponyme, que celui que lui prête une gravure dénichée sur les quais, dans le bac d’un bouquiniste.

Serge Quadruppani restitue un Sante Notarnicola plus vrai que nature, en partie à l’aide de ses écrits autobiographiques, partant de sa remise en semi-liberté après vingt années passées en prison, remontant à son arrestation, à son procès, à son enfance à Bari, son premier coup avec sa bande, les émeutes de juillet 1962, piazza Statuto à Turin.

Sébastien Rutés s’échine à brosser le portrait de Joaquim Murieta, bandit californien, ou mexicain, ou chilien, grâce à un récit polyphonique dans lequel s’expriment autant Octavio Paz et Pablo Neruda que toutes sortes de personnages imprégnés de sa légende.

Enfin Jean-Luc Sahagian s’intéresse aux célèbres hors-la-loi du Nordeste brésilien, Maria Bonita, Lampião et leur bande de Cangaceiros, selon un procédé assez voisin, rapportant comme des documents d’enquête : témoignages d’un compagnon de route, description d’images collectées dans la presse populaire ou au musée anthropologique de Salvador de Bahia, carnets d’un cinéaste assassiné alors qu’il préparait un film sur eux, article de la Revue de l’institut des sciences sociales de São Paulo qui explique : « Ils sont déjà pure image et cela sera encore renforcé par leur disparition tragique. En effet, leur exécution est pensée avant tout dans l’idée de briser cette image, montrer leur faiblesse, souiller le glamour, en exposant leurs têtes et en diffusant largement les photos de ces atrocités. Mais, paradoxalement, cela jouera en leur faveur, comme pour le Che qui acquiert ainsi, post-mortem, une aura christique. En surexposant leur mort, en tentant de salir, l’État brésilien de Getúlio Vargas ne fait qu’affirmer la part infâme de la répression et l’héroïsme des hors-la-loi. Ils sont même sanctifiés par la manière ignoble dont on a disposé de leurs corps (exposant leurs crânes dans un musée) et, comme des saints, ils deviennent ainsi des corps souffrants mais triomphants, triomphants car souffrants ! »

Une belle collection de hors-la-loi défiant l’ordre économique, social et politique. En espérant que d’autres volumes suivront.

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