15/11/19

« Un chef-d'oeuvre de réalisme »

Recension de Samedi soir, dimanche matin d'Alan Sillitoe par Nicolas Ungemuth dans Le Figaro Magazine.

Samedi soir, dimanche matin n'est pas seulement - avec Lucky Jim de Kingsley Amis - l'un des livres phares des Angry Young Men, ces écrivains britanniques apparus à la fin des années 1950 pour dépoussiérer brutalement la littérature locale, c'est aussi une référence dans la culture pop anglaise : Madness, The Specials ou Morrissey lui ont rendu des hommages appuyés, et la fameuse phrase " Quoi que vous disiez que je suis, je ne le suis pas" a donné son titre à un album des Arctic Monkeys. On comprend pourquoi : le livre est un chef-d'oeuvre de réalisme à la fois gai, tendre et sordide. Il raconte le quotidien du jeune Arthur Seaton à Nottingham dans les Midlands. Arthur, 21 ans, vit chez ses parents. Il travaille dans une usine de bicyclettes et dépense sa paie en costumes sur mesure, le reste partant au pub où il se réfugie chaque week-end. Le dandy ouvrier est un joyeux matamore qui couche avec des femmes mariées - l'une d'entre elles avortera avec un mélange de gin et d'eau bouillante - et aime bien se bagarrer : c'est Alfie chez les prolos. De temps à autre, il aime tirer avec une carabine à plomb sur une grosse voisine portée sur le commérage. Le comportement de la tête brûlée ne va pas tarder à lui attirer des ennuis, jusqu'à ce qu'une forme de sagesse l'emporte.

Manifeste d'une jeunesse d'après-guerre, le livre de Sillitoe (adapté par Karel Reisz à l'écran en 1980 avec un jeune Albert Finney extraordinaire dans le rôle principal) n'a pas pris une ride soixante ans après sa sortie. Indisponible en France depuis trois décennies, il ressort enfin et sa puissance est intacte : les tribulations du jeune Seaton, double de l'auteur, qui sortait là son premier roman, ne sont pas près d'être oubliées.