11/07/25

« Un chef-d’œuvre »

Recension des Juifs de Belleville de Benjamin Schlevin par Mustapha Harzoune dans Hommes & Migrations.

Au risque d’éloigner les sceptiques et les stoïques pour ce qui ressemble à un trop-plein d’enthousiasme, pour ne pas dire d’émotions, ces Juifs de Belleville est un chef-d’œuvre. Dans sa postface, Denis Eckert (dont le pseudonyme de traducteur est… Joseph Strasburger) apprend que Benjamin Schlevin est un écrivain yiddish né à Brest-Litovsk en 1913, arrivé en France en 1934. Il y entreprend de raconter l’histoire de la présence juive entre les deux guerres mondiales dans ce quartier de l’Est parisien. Son travail sera bien évidemment interrompu par la guerre, l’Occupation et le régime de Vichy. Lui-même participera comme volontaire étranger, enrôlé dans les « régiments ficelles », à la mal nommée « drôle de guerre », avant d’échoir, quatre années durant, dans un stalag en Allemagne. Rescapé, Schlevin reprend son écrit. Au projet d’origine, il ajoute les pages des années 1939-1945. Ils forment la trame des onze derniers chapitres de ce livre édité en yiddish en 1946. En 1956, une première traduction, caviardée et imparfaite, paraît à Paris.

Il était temps de remettre un peu d’ordre littéraire dans cette histoire et de rendre justice au travail de ce grand Schlevin. C’est ce que firent les deux traducteurs : Joseph Strasburger et Batia Baum, grande spécialiste, décédée au cours de l’aventure. Denis Eckert lui rend hommage, évoque leur travail commun et offre quelques réflexions utiles sur le yiddish chez Marc-Alain Ouaknin, dans Talmudiques (France Culture, le 23 février).

Ces Juifs de Belleville sont des Ashkénazes, nous sommes avant l’arrivée dans les années 1960 des Sépharades ; les premiers fuyaient antisémitisme, pogroms et conscription forcée… les seconds des Indépendances devenue barbelés identitaires (lire Simon Nizard, H&M, n° 1340). Le récit s’ouvre à Varsovie, dans le fracas de la guerre avec les bolchéviques. Il faut fuir. Le trajet qui mène de la Pologne au Paris des années 1920 est vite raconté (rien à voir avec Motl, fils du chantre de Cholem Aleikhem, H&M, n° 1345). Dès la page 56, le lecteur est transporté dans Paris qui « effraie et attire », au cœur de la communauté juive, celle qui, débarquée « Gar di Nord », se retrouve à Belleville – plutôt qu’au Marais, le Pletzl en yiddish, devenu « trop étroit ». Les émigrants sont alpagués par quelques patrons juifs en quête de main-d’œuvre pour travailler, qui en atelier qui à la façon. Les ateliers clandestins de Belleville étaient juifs alors (...).

Pour lire la suite : www.journals.openedition.org/mondesmigrations/2402?lang=en