08/03/20

« Séverine, en 1890 : "L’avortement est un malheur, une fatalité – pas un crime" »

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Le Monde republie l'article de Séverine paru dans Gil Blas en 1890, « Le droit à l'avortement ».

En 1890, à une époque où la natalité est encouragée par les autorités, la journaliste et féministe signe dans Gil Blas un article dans lequel elle défend l’interruption volontaire de grossesse. Voici ce texte, à relire à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

[De son vrai nom Caroline Rémy (1855-1929), cette journaliste et féministe française a mené son combat sous différents pseudonymes – Séverine, Renée, Madame Rehn ou Jacqueline, comme dans cet article, publié en « une » du quotidien « Gil Blas », le 4 novembre 1890, que nous reproduisons à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. Elle y défend le droit à l’avortement, à l’occasion d’une affaire survenue à Toulon : la « femme d’un officier supérieur de la marine, une accoucheuse de la ville et le maire de Toulon » ont été arrêtés à la suite d’un avortement clandestin. A l’époque, l’avortement n’est pas considéré seulement comme un crime contre une personne, mais également comme un crime contre la patrie. A la suite de la défaite de la guerre de 1870-1871, les autorités ont décidé de mener une vigoureuse politique nataliste. Le drame de Toulon est l’occasion, pour la journaliste, de pourfendre l’hypocrisie des mœurs bourgeoises. Pour cet article, Caroline Rémy obtient le soutien de René d’Hubert, son « directeur et ami » qui anime alors Gil Blas, une publication atypique du Paris fin de siècle fondée en 1879 par Auguste Dumont. Ce journal, dont la ligne éditoriale est grivoise, littéraire et ouvertement mondaine, met alors à contribution de nombreuses grandes plumes de l’époque, dont Guy de Maupassant.]

Vous m’avez demandé, cher directeur et ami, mon opinion sur le drame de Toulon. C’était chose dangereuse – l’avis que je puis émettre étant d’une hardiesse à faire paraître ingénus et familiaux les contes les plus risqués publiés ici.

Car l’immoralité, vous le savez, est de deux sortes : celle qui chatouille en riant le nombril des sénateurs – cette-là, tous les régimes l’ont encouragée –, et celle qui s’arrête, grave, devant certains problèmes, celle qui n’inquiète pas la crudité du sujet, et qui marche dans l’ordure jusqu’aux reins, sans frisson et sans nausée, si quelque être s’y noie, en cette ordure, et appelle au secours de toute la force de son désespoir, de toute l’angoisse de son abandon.

« Le scandale de Toulon »

C’est cette immoralité-là qui est mienne, et j’y vais donner libre carrière, audacieusement, cyniquement – étonnant les superficiels qui me considéraient un peu comme la vertu de la maison, mais ne surprenant point les autres, ceux qui, habitués à lire entre les lignes, comprendront que ce que j’écris aujourd’hui n’est que la résultante logique, absolue, implacable, de ce que j’écrivais hier.

(…)

Et, tout d’abord, un mot sur l’affaire elle-même, ce qu’on a appelé, dès le premier jour, « le scandale de Toulon ». Ah ! oui, un joli scandale, à l’actif bien moins des accusés que des magistrats, la dernière stupidité de la justice, la gaffe à Thémis, quoi ! (...).

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