18/12/21

« Nous vivons tous comme des migrants, sans plus d’ancrage »

Entretien d'Éric Sadin, auteur de Faire sécession, avec Simon Brunfaut dans L'Écho.

Dans son nouvel ouvrage*, le philosophe Éric Sadin, spécialiste des enjeux numériques, tente de comprendre comment s’opposer à la situation d’"isolement collectif" dans laquelle nous nous trouvons en créant une nouvelle organisation de la vie en commun.

"Nous voyons bien que l’enjeu majeur de l’époque est d’être partie prenante des affaires qui nous regardent", écrivez-vous. Et pour commencer, dites-vous, il faut retrouver notre capacité à dire "non". Qu’entendez-vous par là?

Nous vivons une époque de désillusion à l’égard de l’ordre politique et économique en place. À cet égard, il ne s’est jamais autant manifesté le désir pour d’autres modes de vie, d’autres modes d’organisation en commun. C’est l’un des enjeux majeurs aujourd'hui: s’opposer à des situations jugées intolérables, tout en répondant à nos aspirations à être plus créatifs et autonomes. Mais nous n’arrivons pas à donner corps à ces envies, à retrouver nos capacités naturelles, sociales et politiques, à nous rendre moins passifs et à faire front face à quantité de situations iniques qui nous sont imposées.

Depuis le tournant néolibéral des années 1980, un certain nombre de discours se sont imposés à nous, que nous n’avons pas suffisamment mis en critique. Ces discours, forgés par des think-tank et par le monde économique, visent à imposer une doxa qui ne répond qu’à des intérêts privés et à une vision de la société totalement fantasmatique tendant vers la perfection absolue. Ces discours se sont généralisés dans tous les pans de la société, y compris au sein des hôpitaux, des institutions judiciaires, de l’école publique… De nos jours, il y a des experts pour tout, mais ceux-ci ont des connaissances très abstraites des situations et pourtant ce sont eux qui disent aux personnes concernées comment se conduire. Tout cela au nom d’une doxa de l’hyperoptimisation de tous les secteurs de la société. Or, l’expertisation massive de la société a conduit à occulter des phénomènes au profit de l’imposition de normes. Nous n’avons pas assez fait valoir des expériences, des contre-discours permettant d'entendre les réalités du terrain (...).

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Éric Sadin