23/11/20

« Le pouvoir magique de la littérature ! »

Recension de La Machine s'arrête d'E. M. Forster par Jean-Luc Germain dans Le Télégramme.

Objets connectés qui se « dématérialisent » dans les parois des logements ; communications visuelles à distance ; bunkerisation de l’existence ; voyages planétaires réservés à une élite ; « pasteurisation » des sentiments et des relations humaines… Et, pour couronner le tout, une méga machine qui contrôle l’ensemble du fonctionnement de l’humanité et connaît, comme l’indique le titre, de funestes ratés.
Frais comme demain, ce petit texte d’anticipation d’une rare puissance pourrait avoir été pensé durant le confinement par un jeune adepte des nouvelles technologies. Que nenni. Bien avant le « Big brother » d’Orwell, les fulgurances de Philip K.Dick ou l’univers « cyberpunk » de William Gibson, cette histoire visionnaire a été publiée en 1909 par le grand écrivain britannique Edward Morgan Forster (1879-1970). On lui doit, adaptés au cinéma par David Lean ou James Ivory, des chefs-d’œuvre classiques anglais tels que « Avec vue sur l’Arno » ou « Route des Indes ». Au-delà de la pertinence et de la vraisemblance techniques des intuitions de l’auteur, ce qui nous frappe ici est la portée philosophique universelle de ce texte sur les conséquences du futur en marche, éternellement aveuglé, et sa qualité stylistique.
D’une manière saisissante, l’atmosphère grise et très désenchantée de cette dystopie plus que centenaire est au diapason du spleen dans lequel la déshumanisation numérique, la crise économique et la pandémie nous plongent aujourd’hui.
À noter, une fois encore, la qualité du travail des éditions de l’Échappée, qui ont saisi la balle au bond en rééditant, au format de poche, cette œuvre parue au Pas de côté en 2014. On ne saurait trouver plus actuelle et plus éclairante lecture de notre époque. Ce qui s’appelle le pouvoir magique de la littérature !

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