19/06/20

« Le grand récit de l'écoféminisme »

Recension d'Être écoféministe par Octave Larmagnac-Matheron dans Philosophie magazine (juillet).

Sorcières, Terre-Mère, Gaïa : autant de figures qui font, en général, frémir les philosophes – dignes héritiers des Lumières et de leur combat contre la superstition. Jeanne Burgart Goutal partage cette méfiance lorsqu’elle se lance, en 2013, dans une thèse de philosophie consacrée au mouvement écoféministe – qui voisine allègrement avec ces idoles magiques. Méfiance redoublée pour cette jeune féministe aux prises avec un courant qui, bien souvent, essentialise la femme afin de souligner son lien étroit avec la nature, en particulier par l’exaltation quasi mystique de la maternité. Contraception, avortement… le féminisme n’est-il pas, justement, fondé sur l’affranchissement des femmes à l’égard de la tyrannie de la nature ? Sans doute. Mais toutes les écoféministes n’abordent pas la question de la même manière. La diversité d’approches, souvent contradictoires, est d’ailleurs une caractéristique du mouvement. Que pouvait dire la philosophie d’un objet aussi insaisissable et dépourvu d’unité théorique ? Était-il possible de mettre de l’ordre dans cette confusion apparente ? De l’ordre oui – et, de ce point de vue, le livre de Jeanne Burgart Goutal tient son pari en proposant un panorama remarquable de l’écoféminisme. Mais l’ordre n’implique en aucun cas d’abolir les divergences qui traversent le mouvement et en font toute la fécondité. Il est peut-être même propre à l’écoféminisme de rejeter une autre tyrannie, non celle de la nature, mais celle de la théorie et de son obsession pour l’unité. Raison pour laquelle l’autrice, qui refuse de séparer le bon grain de l’ivraie, ne propose pas un traité mais un récit parmi d’autres : celui de son cheminement personnel au contact de l’écoféminisme. Émaillé de doutes et de questionnements, il lui permet de partager les expériences, parfois cocasses, qui ont nourri sa réflexion. L’évocation du rituel païen d’Imbolc, notamment, qui clôt le « premier mouvement » de l’ouvrage, réalise un mélange savoureux de joie et d’autodérision. Sans souci d’orthodoxie, Jeanne Burgart Goutal puise, dans cette nébuleuse floue, des idées neuves qui mettent au défi la philosophie, mais aussi, et surtout, des modes d’actions innovants qui permettent d’aborder autrement le combat féministe.