03/11/20

« La technofolie à perpétuité »

Recension de La Machine s'arrête par Anne Crignon dans L'Obs (29 oct. - 4 nov.).

Il y a toujours eu de lumineux rabat-joie pour regarder avec circonspection la bestiole nommée « progrès » et déplier l’éventail de ses noirceurs à venir. On se demande si E. M. Forster (auteur du livre qui inspira à James Ivory Retour à Howard Ends) n’aurait pas voyagé dans une machine à avancer dans le temps, fait halte en 2020 dans le grand confinement, avant de revenir en 1909 pour écrire The Machine Stops. Dans cette nouvelle, hommes et femmes vivent reclus en sous-sol d’une planète devenue irrespirable, chacun replié en son techno-cocon sans contact avec l’extérieur autre que virtuel. La résignation, meilleure alliée des démolisseurs, a fait son travail : même les Anciens qui ont connu l’air libre ne se formalisent pas de vivre grâce aux câbles qui drainent jusqu’à leur domicile les becquées de « la Machine ». Ce système, omnipotent, est l’unique recours d’une humanité condamnée à perpétuité à la technofolie. « Nous ne sommes rien de plus que des globules sanguins dans ses artères », écrit Forster dans ce petit livre génial, qui est un pan sur le bec de tous les béats qui « likent » par principe la 5G et ces véhicules qu’on dit autonomes.