03/11/25

« Intelligence artificielle : vers la disparition programmée de l’humain »

Recension du Désert de nous-mêmes d'Éric Sadin par Jean-Jacques Bedu dans Mare Nostrum.

Et si la révolution technologique masquait une dissolution silencieuse, une lente et inexorable désertification de l’intériorité ? Le Désert de nous-mêmes d’Éric Sadin est moins un essai qu’un acte politique, une dissection d’une humanité en voie de se retirer d’elle-même. Oscillant entre l’allégorie inaugurale, une critique radicale des nouvelles structures de pouvoir, et un diagnostic anthropologique de notre dévitalisation, l’ouvrage tisse un fil narratif implacable : celui d’un effacement consenti de la parole humaine. Il ne s’agira pas ici de résumer un livre, mais de déplier sa mécanique argumentative, d’en sonder les soubassements philosophiques et d’en mesurer la portée politique, car Éric Sadin nous offre une cartographie précise de notre propre dépossession.

Éric Sadin révèle la mécanique cachée du fondamentalisme numérique

À défaut d’en déplorer les symptômes, Éric Sadin ausculte la structure même du mal. Son livre s’ouvre sur la parabole du rossignol philomèle, ce virtuose du chant qui, séduit par des automates produisant des mélodies sans effort, choisit le confort au détriment de l’art. Ce prologue au drame révèle la matrice de notre servitude volontaire, cette préférence pour la passivité qui innerve toute la critique du philosophe.

Mais le cœur de la machine discursive qu’il démonte réside dans sa formidable analyse du « fondamentalisme de l’IA ». Éric Sadin identifie cinq piliers qui soutiennent cette nouvelle religion séculière. Premièrement, des responsables politiques fascinés, agissant comme les promoteurs zélés d’une puissance qui les dépasse et qu’ils financent à coups de milliards. Deuxièmement, un « monde de l’intérieur » — ingénieurs, chercheurs, entrepreneurs — qui, tout en feignant de s’inquiéter des dérives par un discours sur l’« éthique », accélère sans cesse le processus. Troisièmement, des économistes, nouveaux théologiens de la croissance, pour qui l’automatisation est un destin inéluctable et désirable. Quatrièmement, des comités et des instances officielles, cautions morales du système, dont la consanguinité avec les acteurs de l’industrie technologique relève du conflit d’intérêts systémique. Enfin, les médias, qui, par fascination ou par manque de distance critique, relaient sans relâche la parole des maîtres du jeu.

À ces cinq piliers, Éric Sadin ajoute un sixième, invisible et peut-être le plus puissant de tous : « la grande illusion de la régulation ». Il y démonte avec une rigueur implacable le mensonge d’un encadrement possible. La régulation, explique-t-il, ne fait qu’entériner la logique qu’elle prétend contrôler, en raisonnant dans le cadre utilitariste du ratio avantages/risques, sans jamais poser la question fondamentale, celle des ruptures civilisationnelles (...).

Pour lire la suite : www.marenostrum.pm/intelligence-artificielle-vers-la-disparition-programmee-de-lhumain

 

Éric Sadin