« Éric Sadin, avant le déluge »
Portrait d'Éric Sadin, auteur du Désert de nous-mêmes et de Penser à temps, par Camille Rio dans Libération.
Le philosophe intensifie sa critique de l’IA et alerte contre l’effacement de notre singularité.
Le lieu a des airs de sanctuaire bétonné, héritage d’un monde qui a rêvé d’universalité. Sur les murs gris subsistent les traces d’un optimisme passé. Au bout du couloir, la silhouette d’Eric Sadin apparaît, figure d’époque en retard sur le sommeil avec ce quelque chose d’amusant à mi-chemin entre Doc de Retour vers le futur et le Magicien d’Oz.
Le moine copiste a quitté son perchoir des Buttes-Chaumont, là où il lit en pyjama, jambes en l’air, avec toujours à portée de main un litre de café noir fumant en élixir matinal. Ses traits tirés et ses cheveux blanc cassé dégagent une fatigue habitée. Comme si, pour lui, la nouvelle année sonnait chaque 30 novembre, comme un lendemain de cuite dont il ne se serait jamais remis depuis 2022 et le lancement de ChatGPT, ce jour-là.
Il s’installe au bout de cette grande table. A voir comme il étale ses feuilles, on comprend qu’il a passé la nuit à les reprendre comme un bon élève inquiet. Sadin parle bas, comme si ce lieu, berceau des bonnes intentions, exigeait de lui qu’il dépose chaque mot avec précaution.
Sa vie entière semble née sous le signe du contretemps. Le jeune Eric grandit à Anthony, dans les Hauts-de-Seine. Son père était avocat, puis directeur de cabinet au ministère des Anciens Combattants, et sa mère dirigeait une entreprise de lingerie. Solitaire au milieu d’une famille bourgeoise libertaire, il restait plongé dans ses livres, boudant les appels de son père l’invitant à regarder la télévision en famille (...).
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