« "L’enthousiasme pour le progrès technologique ne garantit en rien l’adoption d’une modernité politique" »
Entretien avec Jeffrey Herf, auteur du Modernisme réactionnaire, par Nicolas Chevassus-au-Louis dans Sciences Critiques.
Série « La science et le nazisme » (3/3) – Les nazis vénéraient le progrès technique et haïssaient la raison. Telle est la contradiction de leur rapport aux Lumières, explique l’historien américain Jeffrey Herf. Tour d’horizon des avatars de ce que l’universitaire appelle le « modernisme réactionnaire », qui veut la technologie sans les sciences, des nazis à Elon Musk.
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Sciences Critiques – Comment résumer ce qu’est le modernisme réactionnaire ? Est-ce que la formule « haine de la raison et culte de la technologie », qui est le sous-titre de l’édition française[1] de votre livre Reactionary modernism[2], vous paraît pertinente ?
Jeffrey Herf – Oui, tout à fait. Cette formule résume le paradoxe central de l’idéologie antidémocratique de la droite allemande, pendant la République de Weimar puis le Troisième Reich, à savoir la manière dont des écrivains, des penseurs et des ingénieurs ont adopté avec enthousiasme la technologie moderne tout en rejetant le libéralisme politique associé aux Lumières, et tout particulièrement aux Lumières françaises.
Si l’on perçoit un paradoxe dans « modernisme réactionnaire », c’est que l’on suppose que les Lumières sont un bloc, un tout. Que l’on ne peut pas diviser l’héritage. Mais le modernisme réactionnaire montre, au contraire, que l’on peut choisir ce que l’on veut dans l’héritage des Lumières, par exemple de prendre la volonté de maîtriser et exploiter la nature par la technique tout en rejetant l’égalité politique et l’émancipation par l’exercice de la raison. Il existe de nombreux exemples d’adoption sélective de certains aspects, mais pas d’autres, de la modernité politique et culturelle des Lumières (...).
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