« Edmond Thomas, l'"homme-livre" de Plein Chant »
Hommage à Edmond Thomas, éditeur-imprimeur de Plein Chant, de Cédric Biagini et Jacques Baujard dans Libération.
Sa maison faisait la part belle à la littérature prolétarienne. Après sa mort le 18 octobre, deux pairs lui rendent hommage.
Ses mémoires venaient d’être publiés grâce à de vaillants compagnons de route – Klo Artières, Nathan Golshem et Frédéric Lemonnier – et, coup du sort – hasard terrible s’il en est –, Edmond Thomas a fait un infarctus, qui lui fut fatal, le 16 octobre, jour où Le Monde des livres consacrait un beau papier à son Histoire d’un éditeur de labeur. Libération, Le Canard enchaîné, Le Matricule des Anges, entre autres, ont aussi souligné ces dernières semaines l’importance du livre de l’infatigable animateur des éditions Plein Chant. Entre les lignes des recensions, dans les mots des premiers lecteurs, l’émotion est plus que palpable suite à la découverte du parcours hors du commun de ce titi parisien, devenu éditeur-imprimeur en Charente grâce à la découverte des œuvres de Jacques Prévert et d’Henry Poulaille. Lui qui n’a jamais marché sur les sentiers battus, lui qui avait le refus de parvenir chevillé au corps, il a peut-être préféré tirer sa révérence que de faire face à tant d’éloges ? Pourtant, il les aura longtemps attendus…
Cinquante ans qu’il éditait en toute discrétion des petits bijoux de papier, tel un orfèvre de l’édition. Pour chaque ouvrage, tout était choisi avec soin : le papier, la typographie, les colophons et diverses gravures. D’après Panaït Istrati, un auteur qui lui était cher : « Dans le détail réside le plus souvent la beauté. Mais qui écouterait le détail ? » Edmond Thomas faisait partie de ces rares personnes, soucieuses de la moindre petite chose.
Non loin de l’abbaye de Bassac, près d’Angoulême, il s’était installé dans une maison charentaise, dans laquelle il avait également installé son imprimerie, sa « cathédrale » comme il l’appelait… Lorsque nous le visitions, quel plaisir de l’écouter nous raconter tel ou tel écrivain, en déambulant à ses côtés, dans son extraordinaire bibliothèque, au milieu d’innombrables gravures, affiches et bibelots. Il faut dire qu’Edmond avait sacrifié de nombreux samedis et dimanches matins à la chine… Autre passion de cet amoureux du beau et de l’insolite. En dédiant sa vie à la littérature ouvrière, à la poésie populaire et aux mouvements révolutionnaires, c’est un immense leg qu’il nous laisse.
Début septembre, nous nous étions retrouvés chez lui avec la petite bande ayant travaillé à l’édition de ses mémoires. Du vin, des rires, des histoires, des livres ; une grande tablée improvisée dans son jardin ; Edmond était heureux de voir des jeunes gens – enfin, plus jeunes que lui ! – écarquiller les yeux à l’écoute de tant de récits sur son métier, sur sa vie et sur des personnes, pour beaucoup disparues, qui figurent dans notre Panthéon. Il appréciait aussi d’avoir les premiers retours de lecture de ses mémoires de la part de proches et des quelques confrères pour qui il avait réalisé de nombreuses impressions – Claire Paulhan, Dominique Gaultier du Dilettante, Emmanuelle et Thierry Boizet de Finitude, en tête.
À cause de son âge et de soucis de santé, il avait arrêté d’imprimer lui-même ses livres et ceux des autres en 2017. Malgré les coups durs (le pire étant la perte des droits des Oiseaux de Tarej Vesaas, son joyau de la littérature scandinave qu’il avait fait découvrir à de nombreuses générations), et malgré un monde de l’édition qui lui accordait de moins en moins d’importance, notamment des libraires peu enclin à défendre ses pépites littéraires si peu dans l’air du temps – précisons aussi qu’il ne leur facilitait pas la tâche en s’auto-diffusant –, Edmond Thomas débordait de projets, inébranlable face aux aléas de la vie et au temps qui passe.
Salut Edmond ! Tu resteras pour nous l’« homme-livre » et, malgré la tristesse qui nous accable, il ne nous reste plus désormais qu’à honorer ta mémoire, celle des vaincus, et ton travail si précieux à nos yeux. Le peuple du livre ne sait peut-être pas ce qu’il te doit, mais compte sur nous pour le lui rappeler.
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