23/01/23

« Comment la fausse conscience entrave notre perception de la réalité »

Recension de La Fausse conscience de Joseph Gabel par Rob Grams sur le site de Frustration Magazine.

En 1962, paraissait La fausse conscience de Joseph Gabel, un ouvrage majeur de la critique sociale qui fit le tour du monde. Le psychiatre y revenait sur ce concept central pour comprendre le fonctionnement des idéologies qui se traduit par une fermeture au réel. Il analysait donc en profondeur les cas du stalinisme, du nazisme, mais aussi, bien sûr, du capitalisme. 

Ce mois-ci, L’Échappée réédite (de manière surprenante) l’ouvrage très intéressant de Joseph Gabel, psychiatre et sociologue, La fausse conscience, initialement publié en 1962 et qui eut, notamment, une influence importante sur Guy Debord et les situationnistes, les étudiants de Mai 68 et la sphère dite d’ « ultra-gauche ». Si certains passages sont un peu plus datés que d’autres (notamment certaines vues contestables sur la guerre froide), restent des analyses très percutantes et toujours d’actualité.

La très bonne préface de David Frank Allen et Patrick Marcolini permet de contextualiser l’œuvre et de mettre en avant ce qu’elle nous apporte aujourd’hui, notamment une certaine compréhension de la disposition d’esprit militante. En effet, la fausse conscience désigne « l’attitude pathologique consistant à prendre la partie pour le tout, autrement dit à isoler une donnée de la vie collective pour l’ériger en réalité absolue : dégagée de ses rapports avec d’autres facteurs, elle devient ainsi le principe explicatif du monde social ». De ce point de vue, Gabel s’inscrit dans la continuité d’un autre philosophe marxiste hétérodoxe, Georg Lukacs et ses travaux sur la « réification » en particulier Histoire et conscience de classe (1923), et met en opposition à la fausse conscience, la « pensée dialectique », héritage notamment d’Hegel et de Marx, et dont les auteurs donnent cette définition : « une compréhension du monde comme totalité dynamique : tout élément, concept, phénomène ou personne doit être resitué dans un contexte global si l’on veut en saisir exactement le sens et la portée, et replacé simultanément dans le cours du temps, comme un moment transitoire au sein d’une évolution, comme une forme sujette à transformation ».
Ils rapprochent également, et assez justement, Joseph Gabel de son contemporain Frantz Fanon, auquel nous consacrerons un article prochainement à l’occasion de la sortie de l’ouvrage de Kevin Boucaud-Victoire : « tous deux psychiatres, tous deux marxistes et préoccupés par la question de la désaliénation, tous deux en situation minoritaire en France ».

Les idéologies et les régimes politiques peuvent être pathologiques

En tant que psychiatre, Joseph Gabel réalise dans cet ouvrage des « parallélismes socio-pathologiques », c’est-à-dire qu’il montre comment des convictions et des régimes politiques peuvent prendre des traits pathologiques, de « folie », et met en comparaison et en lien « l’aliénation » au sens clinique et l’aliénation au sens social. Il rapproche par exemple la tendance des militants à ignorer les faits et les expériences qui contredisent leurs théories à des formes d’autisme, avec parfois des conséquences graves.

De la même manière, il fait du « géométrisme morbide », un rapport fétichiste au calcul et aux critères quantitatifs, une caractéristique importante des idéologies politiques, dans la lignée de Lukacs qui disait, lui, que dans le capitalisme « le principe de la mécanisation et de la possibilité rationnelle de tout calculer doit embrasser l’ensemble des formes d’apparition de la vie », tendance encore plus que jamais à l’œuvre.

Sur l’aliénation et la réification, Joseph Gabel constate son omniprésence en régime capitaliste (« dans l’économie capitaliste, la marchandise devient valeur et l’homme devient marchandise ») mais dépasse toutefois la pensée de Lukacs en affirmant que ces phénomènes peuvent se retrouver, parfois même plus fortement, dans des régimes non-capitalistes (Joseph Gabel, en tant qu’antistalinien, pensait notamment à l’URSS) (...).

Pour lire la suite : www.frustrationmagazine.fr/fausse-conscience

Joseph Gabel