« L’anarchie, une "révolte viscérale" »
Recension de Naissance de l'anarchisme de Pierre Ansart par Le Phénix dans Agora Vox.
« On a bien raison de se révolter » dit-on couramment. « Les fureurs des révoltes donnent la mesure des vices des institutions » constatait Mme de Staël (1763-1817) dans ses Considérations sur la Révolution française. La sédition du révolté Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) récusait tant le « capitalisme » comme système d’exploitation que la mécanisation, l’accélération des destructions, le modèle de la grande entreprise que la dépossession du droit à exister en société. Le fondateur de l’anarchisme invitait à faire cause commune pour vivre d’autres attachements par le retissage d’une communauté émancipée des cercles peu vertueux d’une économie de prédation.
Depuis l’Antiquité grecque et Diogène, la révolte contre l’iniquité remue l’humanité et la soulève parfois – elle est intemporelle comme la soif de justice. Omnia sunt communia (« toutes choses sont communes ») disaient les gueux qui savaient penser et exprimer leur dépossession lors des jacqueries du XVIe siècle.
Aux partisans du communisme étatique comme aux individualistes du « laissez-faire, laissez-passer », Proudhon oppose l’association vécue comme solidarité et responsabilité commune, résumée par cette formule : « De chacun suivant ses facultés, à chacun suivant ses besoins ». Le 31 juillet 1848, il scandalisait les « représentants du peuple » à l’Assemblée constituante en proposant sous les huées rien moins que l’abolition de la « propriété capitaliste » et l’organisation du crédit gratuit : « Supprimez la propriété en conservant la possession ; et, par cette seule modification dans le principe, vous changerez tout dans les lois, le gouvernement, l’économie, les institutions : vous chassez le mal de la terre ».
Fin connaisseur de la pensée de Proudhon, le philosophe Pierre Ansart (1922-2016) publie une première fois Naissance de l’anarchisme, sous-titré « Esquisse d’une explication sociologique du proudhonisme », aux Presses universitaires de France en 1970, dans la collection « Bibliothèque de sociologie » dirigée par Georges Balandier (1920-2016). L’ouvrage, devenu un classique traduit en espagnol et en italien, est réédité par les éditions l’échappée avec une préface de Freddy Gomez qui fut son élève.
L’ancien résistant, longtemps professeur de sociologie à l’université Paris-VII, entreprend de faire comprendre à une France pompidolienne convertie au « tout pour la bagnole » la pensée sociale de Pierre-Joseph Proudhon. Il restitue l’époque de son éclosion, avec son organisation économique où « prédomine la production rurale et artisanale », ainsi que le champ intellectuel de la pensée politique d’alors, « à son maximum d’ouverture et d’étendue », portée par un ample mouvement ouvrier avec ses associations et sociétés de secours mutuel. Le milieu d’origine de Proudhon, c’est une France de l’atelier, de l’agriculture parcellaire et des petites manufactures, dans la « première phase de la Révolution industrielle », de la Restauration à la fin de la Monarchie de Juillet (1815-1848) : « Avant 1848, Paris est essentiellement le centre de multiples ateliers différents groupant une population hautement qualifiée et d’une exceptionnelle variété ». Le développement du machinisme provoque un « déplacement de la main-d’oeuvre de la campagne à la ville » et une « déqualification des tâches de production ».
En 1848, Auguste Blanqui (1805-1881) observe que ce nouveau travail déqualifié des ouvriers se trouve « soumis aux ordres des machines » (...).
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