27/04/24

« Michel Ragon, humaniste autodidacte »

Recension d'Une Rage de lire de Thierry Maricourt par Alexis Buffet dans En attendant Nadeau.

Depuis la mort de Michel Ragon (1924-2020), les initiatives se multiplient pour faire vivre la mémoire de cet invaincu, qui, après s’être arraché à ses origines pauvres et paysannes, fut saute-ruisseau, bouquiniste, critique d’art, historien et professeur d’architecture, mais aussi poète et romancier. Diverses publications et manifestations permettent de mesurer l’insatiable curiosité d’un homme qui a construit sa vie et son œuvre en autodidacte (...).

Deux ouvrages permettent, chacun à sa manière, de mieux cerner la vie et la trajectoire de Michel Ragon. La biographie d’André Derval propose un parcours chronologique très documenté en trois temps : aux « Apprentissages » succèdent les « Constructions », puis les « Années de plénitude ». Parcours ascensionnel donc, conforme à la trajectoire idéale de l’autodidacte qui s’est arraché à son milieu social pauvre et rural par sa « rage de lire » – j’emprunte l’expression au très bel hommage rendu par Thierry Maricourt à celui qui fut son ami, dans un ouvrage parfaitement composé et richement illustré qui met l’accent sur les années de formation de l’écrivain et ses amitiés libertaires, notamment avec le poète Armand Robin ou le militant pacifiste Louis Lecoin.

Rage de lire et d’apprendre donc, non dans l’ordre alphabétique, on l’a compris, mais dans un désordre qui traduit d’autant mieux cette pulsion de savoir, son caractère aussi insatiable qu’enthousiaste. Telles pages de ses carnets de lecture, reproduites dans l’ouvrage de Maricourt, font cohabiter Léon Daudet et Fénelon, Chateaubriand et un Art d’écrire enseigné en 20 leçons, culture légitime et manuels d’autodidacte. Tolstoï y voisine avec Pourrat, Ovide et Sophocle avec Apollinaire et Tzara. Le Zarathoustra y est pris en étau entre Paul Claudel et Francis Jammes, et saint Thomas d’Aquin y tient la dragée haute à Romain Rolland et Jules Romains.

Mais celui en qui le jeune Ragon se reconnaît instantanément, c’est Rousseau, fils du peuple érigé en modèle de l’autodidaxie. Ce ne sont là que quelques exemples des lectures d’un garçon de dix-sept ans. Le désordre est relatif, le qualitatif l’emporte. C’est qu’au lendemain de la débâcle, Ragon a retrouvé chez sa tante, Odette, sa demi-sœur née de l’union de son père avec une Indochinoise. Plus âgée de quelques années, elle est son « premier mentor », ainsi qu’il l’écrit dans Ma sœur aux yeux d’Asie, un mentor qui lui permet de mettre un peu d’ordre dans ses lectures. Après Odette, il y aura d’autres guides, mais jamais Ragon n’abdiquera sa liberté, au risque de se brouiller avec ceux-là mêmes qui lui veulent du bien, au premier rang desquels Henry Poulaille et Édouard Dolléans. C’est que pour lui l’autodidacte est avant tout « un affranchi ». Sans doute son autodidaxie – contrainte par la mort précoce de son père et par des conditions d’existence difficiles – et son libertarisme jamais renié puisent-ils leurs racines dans une soif de liberté qui naît dans les jupons d’une mère possessive jusqu’à l’excès (...).

Pour lire la suite : www.en-attendant-nadeau.fr/2024/04/27/michel-ragon-humaniste-autodidacte

Thierry Maricourt