09/03/23

« Musculation et capitalisme des vulnérabilités »

Entretien avec Guillaume Vallet, auteur de La Fabrique du muscle, par Roméo Bondon dans Ballast.

Guillaume Valet, sociologue et économiste à l’université de Grenoble, a publié l’année dernière La Fabrique du muscle aux éditions L’Echappée : une analyse des pratiques de musculation inscrite dans le système capitaliste et l’imaginaire libéral. La salle de sport y apparaît à la fois comme un temple de la fabrication de la masculinité et un ring d’affrontement des corps. Elle renforce les normes physiques et validistes, tout en laissant croire à la possibilité d’émancipation des individus. Si ces pratiques sont avant tout celles des classes populaires et moyennes, qui les conçoivent parfois comme une manière de dépasser la médiocrité du travail et l’invisibilité sociale, elles n’effacent en rien les hiérarchies et les inégalités. Répercutée sur les réseaux sociaux — qui nourrissent le culte de la performance et de l’image —, cette pratique peut-elle aussi faire œuvre d’« empowerment » pour les corps socialement « dominés » ? Nous avons rencontré l’auteur, lui-même praticien de musculation, à Grenoble. « Au quotidien le sport », sixième volet de notre série.

Vous considérez la salle de sport comme une fabrique, voire une usine, où la production serait le corps. En quoi ces catégories vous ont-elles permis de mieux comprendre cet espace ?

La salle de sport se distingue du quotidien. Ça n’est pas un univers totalement différent mais, en exagérant un peu, la salle de sport tient du sacré là où le quotidien tient du profane : la salle a ses rites, ses codes. Le fait de se rassembler dans un espace et de systématiser certains comportements justifie en partie le titre : c’est une fabrique au sens de processus de production, mais aussi de lieu dans lequel ce processus se déroule. Je voulais enfin relier la salle de sport à un système, le capitalisme, présent à la fois dans les techniques de production du corps, dans les attitudes et dans la consommation de certains produits associés à ce lieu.

Comment avez-vous procédé ?

Ce qui m’intéressait dans mes premières études, c’était de questionner l’identité masculine. L’hypothèse issue du sens commun, c’est que les pratiquants masculins qui en viennent à la musculation ne se sentent pas « suffisamment homme ». À partir de là, j’ai essayé de définir les facteurs qui pouvaient être à la base de cette fameuse identité masculine, que j’ai croisés avec le degré d’engagement dans la pratique de musculation des individus. Pour s’engager complètement, il ne suffit pas d’aller à la salle : on s’engage dans une logique nutritionnelle, on acquiert des connaissances médicales, on transforme peut-être ses relations amicales… J’en suis venu à cartographier quantitativement les différentes personnes avec lesquelles j’enquêtais sur une échelle mettant en rapport l’identité masculine, son évolution dans le temps et le degré d’engagement dans la pratique culturiste. Les entretiens m’ont permis d’approfondir cette approche quantitative : par exemple, le facteur qui semble le plus poser une limite à l’engagement est le capital familial — être en couple et, plus encore, avoir des enfants. On est responsable d’autres individus. À l’inverse, quand il n’y a pas de limites extérieures, il n’y en a pas dans la pratique. Dopage et isolement, notamment, interviennent plus fréquemment. Ce que j’ai finalement cherché à analyser, c’est l’engagement dans la pratique et la maîtrise ou non de cet engagement (...).

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Guillaume Vallet